[23 Juillet 2012] YAOUNDÉ/GENÈVE – « Au Cameroun, les indicateurs sur la sécurité alimentaire sont au rouge malgré les mesures prises à la sortie de la crise de 2008 et la hausse des revenus liés à l’importante exploitation de ressources naturelles », a déclaré ce matin Olivier De Schutter, Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, lors d’une conférence de presse clôturant sa mission officielle au Cameroun débutée le 16 juillet.*
« La volonté politique ne manque pas au Cameroun. Mais il n’est pas certain que la stratégie poursuivie soit celle qui soit la plus proche des intérêts des populations vulnérables en matière d’accès à l’alimentation», a poursuivi l’expert.
« Le Cameroun subit ce que j’appelle la dictature de l’urgence : face à la colère de la population, descendue dans les rues en 2008 pour lutter contre les hausses des prix alimentaires, une stratégie basée sur des solutions rapides a été initiée. Le Cameroun a en fait amplifié ce qu’il connaissait déjà : réduire les taxes à l'importation sur quelques denrées de base et développer des méga-plantations, sans que ceci contribue au développement rural et à réduire la pauvreté des petits agriculteurs et éleveurs », a déclaré M. De Schutter.
Pourquoi cette stratégie mériterait-elle d’être réexaminée selon l’expert de l’ONU ? « Au Cameroun, 33% des enfants souffrent de malnutrition chronique. La majorité d’entre eux sont issus de familles de petits paysans, d’éleveurs, de pêcheurs. Or, les efforts nationaux sont essentiellement orientés pour développer des grandes plantations, qui créent en majorité des emplois pour travailleurs migrants acceptant des conditions de travail minimales, et en nombre bien plus réduit que ce que l’agriculture paysanne peut produire pourvu qu'on la soutienne réellement ».
Parallèlement, les programmes nationaux visant à soutenir les petits producteurs tardent à produire les résultats attendus. « La difficulté d’évaluer les progrès n’en signifie pas l’absence, mais il est réellement difficile de voir les impacts au niveau des petits paysans ».
Redistribution des revenus
Le Rapporteur spécial des Nations Unies a salué le mécanisme de redistribution aux populations locales des redevances issues de l’exploitation forestière, qui est en cours d’amélioration pour maximiser son impact sur le développement. « C’est un exemple concret, même imparfait, de l’obligation des pays à agir ‘au maximum de leurs ressources disponibles’ en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits de l’homme, notamment le droit à l’alimentation ». M. De Schutter a cependant appelé à garantir une réelle participation des communautés locales dans les décisions, y compris les peuples autochtones et les femmes, ainsi que des mécanismes de sanction et de recours permettant d'améliorer la transparence dans l'utilisation des revenus. « Sans une meilleure reddition des comptes, il ne pourra être garanti que les revenus seront utilisés pour le bien des populations concernées, comme l’exige le droit au développement ».
M. De Schutter a enfin appelé le gouvernement du Cameroun à considérer une imposition plus rigoureuse de l’exploitation des ressources naturelles par les sociétés, en majorité étrangères, qui pratiquent fréquemment l’ingénierie fiscale et l’évasion fiscale pour maximiser les profits rapatriés hors du pays.
« Cette stratégie permettrait de financer progressivement une réelle politique de protection sociale, qui aura des effets multiplicateurs significatifs et coûterait l’équivalent de 5% du PNB. Cet objectif est à la portée du Cameroun. Il doit dorénavant constituer sa priorité ».
81% de ménages ruraux en insécurité alimentaire dans le Nord
Le Rapporteur spécial a enfin exhorté le gouvernement, les donateurs et les organisations internationales à sortir d’une situation d’improvisation par rapport à la crise alimentaire frappant les trois provinces du Nord, situées dans la zone soudano-sahélienne, où il s’est rendu.
« La répétition des extrêmes climatiques est la nouvelle normalité du 21ième siècle. Les solutions humanitaires doivent être renforcées, mais il est inacceptable de ne pas mieux aider les groupes vulnérables de la région - petits paysans et éleveurs – à développer des solutions structurelles pour résister aux crises du climat », a poursuivi M. De Schutter.
Dans la région du Grand Nord, 81% des ménages ruraux sont dans une situation d'insécurité alimentaire. Les crises, en partie liées aux conditions climatiques, surviennent tous les deux à quatre ans.
« Des solutions existent. Des arbres fertilisants adaptés à la région permettent de produire du fourrage pour le bétail; des techniques comme les micro-barrages et les cordons pierreux maximisent la récolte d’eau de pluie exploitable dans les puits en saison sèche ». Une stratégie régionale d’appui à ces mesures agroécologiques pourrait rendre le Nord bien plus résistant aux crises. « Mais il faut pour cela que les autorités et donateurs se décident à agir ».
(*) Voir https://twitter.com/unrightswire
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