[12 Octobre 2011] BRUXELLES – « La PAC est une contradiction de 50 milliards d’euros à l’engagement de l’Union Européenne d’aider l’agriculture du monde en développement à se remettre d’aplomb, et elle le restera avec les plans de réforme d’aujourd’hui. Des subventions agricoles de cette ampleur engendreront toujours des distorsions, » a mis en garde Olivier De Schutter, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, suite aux propositions de réforme de la PAC (Politique Agricole Commune) avancées aujourd’hui par la Commission européenne.
« Les principales victimes sont les paysans du monde en développement, qui sont évincés de leurs propres marchés par la production occidentale subventionnée. L’UE a ouvert ses portes aux exportations du monde en développement, mais cette ouverture ne sert à rien si les petits exploitants du Sud ne peuvent vendre leurs récoltes vivrières sur leurs marchés domestiques, » a souligné M. De Schutter.
Le Rapporteur spécial a fait remarquer que dans leurs tentatives de garantir l’accès à la nourriture aux groupes de population vulnérables, les pays à faibles revenus se tournent souvent vers les importations bon marché venant de l’étranger. Mais cette démarche rend ces pays extrêmement vulnérables aux flambées des prix, tout en exerçant un puissant effet dissuasif sur les producteurs locaux. « Nous devons les aider à réussir une transition qui diminuera leur dépendance sur le long terme en reconstruisant leurs systèmes agricoles disloqués, » a-t-il dit, « nous ne devons pas les nourrir mais les aider à se nourrir eux-mêmes. »
« L’objectif de ‘nourrir le monde’ ne peut justifier le maintien de subventions agricoles colossales en Occident. Si la production alimentaire augmente parallèlement à une plus grande marginalisation des petits paysans des pays en développement, nous perdrons la bataille contre la faim et la malnutrition. »
Le Rapporteur spécial a applaudi les plans de la Commission européenne consistant à plafonner les paiements aux plus grandes exploitations de l’UE et à soumettre une partie des subventions à des critères environnementaux plus stricts. « Éloigner l’argent des grandes exploitations polluantes et le rediriger vers ceux qui en ont vraiment besoin est un pas dans la bonne direction, » a déclaré De Schutter. « Mais les exigences écologiques devraient sous-tendre chaque cent du contribuable, et pas un maigre 30 %. La réforme de la PAC devrait également faire davantage pour diminuer la dépendance de l’UE aux importations croissantes de soja et de maïs qui nourrissent le bétail européen en grevant les ressources naturelles du reste du monde.»
Mais, a-t-il prévenu, le budget de la PAC est l’aspect le plus préoccupant. « Trop de deniers publics sont encore investis dans la compétitivité internationale de l’agriculture européenne – des sommes avec lesquelles le monde en développement ne peut rivaliser, » a-t-il ajouté.
Si le budget de la PAC va se réduire en termes réels, les propositions de réforme de la Commission maintiennent des paiements directs aux niveaux actuels en faisant passer d’autres dépenses nécessaires dans des lignes budgétaires externes. Une ‘réserve d’urgence’ de € 3,5 milliards sera constituée en vue de financer des outils d’intervention sur les marchés tels que les restitutions à l’exportation.
« Le budget de la PAC peut sembler moindre, mais ce n’est qu’une illusion d’optique. L’agriculture européenne va continuer à bénéficier de généreuses subventions directes. Tout ce qui facilite des exportations alimentaires à des prix artificiellement faibles est une forme de dumping qui influencera les paysans pauvres du monde en développement ».
« Le fait que Bruxelles souhaite continuer à accorder des restitutions à l’exportation est encore plus préoccupant, » a poursuivi l’expert indépendant. « L’UE ne devrait pas attendre la fin du Cycle de Doha de l’OMC pour retirer progressivement ces évidents outils de distorsion des échanges. »
« Les paysans ont besoin de soutien », selon le Rapporteur spécial mais « les subsides ne peuvent se transformer en dumping. L’UE doit arrêter de demander aux pays en développement d’ouvrir leurs marchés à ses propres exportations alimentaires largement subventionnées. Elle doit également entreprendre un contrôle minutieux des conséquences de ses exportations agricoles sur les pays en développement, consulter des organisations paysannes du monde en développement, et mener une évaluation correcte de l’impact de la réforme de la PAC sur le droit à l’alimentation. »
L’expert de l’ONU a applaudi la récente adoption du Rapport Zimmer par le Parlement européen, lequel rapport semble être un appel opportun à l’évaluation et à la gestion des impacts négatifs de la PAC sur les marchés alimentaires du monde en développement. De Schutter a prié les eurodéputés d’user de leurs pouvoirs de codécision pour aligner les propositions de réforme de la PAC sur les objectifs de la sécurité alimentaire et surtout avec l’engagement européen de ‘Cohérence des politiques au service du développement’, qui semble à peine intégré dans la réforme.
Pour lire la note d’information du Rapporteur spécial (17 juin 2011), “The Common Agricultural Policy towards 2020: The role of the European Union in supporting the realization of the right to food”, rendez-vous sur: http://www.srfood.org/images/stories/pdf/otherdocuments/20110617_cap-reform-comment.pdf
Pour voir le rapport Zimmer adopté par le Parlement européen (27 septembre 2011), “ Aider les pays en développement à relever les défis liés à la sécurité alimentaire ”, rendez-vous sur: http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2011-0410+0+DOC+XML+V0//EN&language=EN
FIN
Olivier De Schutter a été nommé Rapporteur Spécial sur le droit à l’alimentation par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies en mai 2008. Il est indépendant de tout gouvernement et de toute organisation. Pour lire plus: http://www2.ohchr.org/english/issues/food/index.htm ou www.srfood.org
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